EXTRAIT:

Les femmes s’étaient installées dans un coin du patio, autour d’une table basse.
Elles buvaient du thé en se dorant au soleil. Ma mère était parmi elles, réservée,
Zahra sur les bras. Elle avait fini par se joindre au groupe sans toutefois prendre part
aux discussions. Elle était timide et souvent, quand Badra se lançait dans ses histoires
salaces, ma mère rougissait en suffoquant de gêne. Cet après-midi, on sautait du coq
à l’âne, juste pour lutter contre la chaleur qui étuvait la cour. Yezza la rousse arborait
un œil au beurre noir ; son mari était encore rentré ivre la veille. Les autres faisaient
comme si de rien n’était. Par décence. Yezza était fière ; elle endurait les lâchetés de
son mari avec dignité.
— Je fais un drôle de rêve, depuis quelques nuits, dit Mama à Batoul la voyante. Le
même rêve : je suis dans le noir, étendue sur le ventre, et quelqu’un me plante un
couteau dans le dos.
Les femmes se retournèrent vers Batoul, guettant l’interprétation. La voyante
ébaucha une moue, se gratta les cheveux ; elle ne voyait rien.
— Le même rêve, dis-tu ?
— Exactement le même.
— Tu es étendue sur le ventre, dans le noir, et quelqu’un te poignarde dans le dos ?
demanda Badra.
— Tout à fait, confirma Mama.
— Tu es sûre que c’est bien d’un couteau qu’il s’agit ? lui fit encore Badra en
roulant des yeux amusés.
Les femmes mirent quelques secondes à déchiffrer les insinuations de Badra avant
d’éclater de rire. Comme Mama ne comprenait pas ce qui faisait se marrer ses
compagnes, Badra l’aida un peu :
— Tu devrais dire à ton mari d’y aller mollo.
— Ce que tu peux être obsédée, toi ! s’énerva Mama. Je suis sérieuse, voyons.
— Et moi aussi, figure-toi.
Les femmes repartirent de plus belle, la bouche grande ouverte sur des
hennissements spasmodiques. Mama les bouda un instant, écœurée par leur manque
de retenue, mais, les voyant pliées en deux, elle se mit à sourire à son tour, puis à
rigoler par petits hoquets.
Seule Hadda ne riait pas. Elle était recroquevillée sur elle-même, toute menue
mais belle à ravir, avec ses grands yeux de sirène et ses jolies fossettes dans les joues.
Elle semblait triste et n’avait rien dit depuis qu’elle avait pris place au milieu des
autres. Soudain, elle tendit le bras par-dessus la table basse et présenta le plat de sa
main à Batoul.
— Dis-moi ce que tu vois ?


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fadilokl

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